Financement de la culture·Politique culturelle·Réflexion

La fin d’une politique culturelle volontariste ?

En matière culturelle, l’action publique se traduit par la prise en charge de la production des œuvres et des lieux dans lesquels ces œuvres sont présentées au public. En organisant à la fois la production et la diffusion de la culture, l’État s’inscrit en tant que premier bénéficiaire de sa politique culturelle. Les monuments d’État, les codes et les rites spécifiques de la République Française répondent à un choix politique intéressé. Ce procédé passe généralement par l’imbrication des citoyens dans la culture et l’éducation. Or si la régulation « consiste en un contrôle permanent et concentré, exercé par une autorité publique sur des activités dotées d’une certaine valeur sociale », alors ce contrôle sous-entend une implication profonde du législateur et une connaissance précise de l’activité régulée (Majone 1996).

Les missions du nouveau Ministère des Affaires Culturelles définies par André Malraux à travers le décret fondateur de 1959[1] s’inscrivent dans cette tradition en développant une conception élevée de la « culture cultivée » dans le but de « rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent » (Compagnon, 2009). Cette conception a perduré jusqu’en 1981-1982, période charnière où Jack Lang inaugura la rupture moderniste du Ministère de la Culture en établissant des rapports inédits entre Culture et Économie (Girard, 1996). La politique culturelle recouvre alors une nouvelle dimension éminemment industrielle et politique. Et l’État démultiplie les aides pour soutenir les industries (production et diffusion) et financer la création.

Les modalités de l’action publique dans la culture

Les modalités de l’action publique dans la culture peuvent prendre deux formes (Moulinier, 2010). De par sa fonctions d’encadrement et de contrôle, le législateur garantie et régule les échanges (droit des affaires), entretien des dispositifs légaux particuliers (droit d’auteur, encadrement du bénévolat) et s’assure de l’application des règles par l’administration.

Aussi, l’État peut intervenir directement ou indirectement dans la vie publique par l’organisation d’un service (Château de Versailles), la délégation de gestion d’un service (la Gaité Lyrique), des dispositifs incitatifs (subvention, exonération, co-production). A titre d’exemple, en 1986 est créé un Fonds de soutien aux variétés qui deviendra un établissement public en 2002 sous l’appellation du Centre National de la chanson des variétés et du jazz. En 1987 François Léotard alors Ministre de la Culture décide d‘abaisser le taux de TVA sur les disques. Et en 1995 Philippe Douste-Blazy relance l’exception culturelle française en définissant des quotas linguistiques de chansons françaises sur les ondes radios (Berthod et Weber, 2006). Par ces trois décisions politiques, la puissance publique entend préserver la diversité artistique du paysage musical français.

L’intervention publique passe aussi par des prélèvements et des redistributions. La taxe sur les entrées en salles de spectacles cinématographiques (TSA), perçue directement par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC), applique un taux unique de 10,72 % aux tickets d’entrées des salles de cinémas françaises. Ces fonds sont ensuite redistribués au cinéma français par le biais de différentes commissions.

Ces modes d’interventions ne sont pas exempts de critiques. Certains secteurs apparaissent comme prioritaires dans l’allocation des fonds publics (soins, criminalité, pauvreté). Les départements français appliquent cette logique et privilégient les politiques de solidarités (RSA) aux politiques culturelles. Aussi par certains aspects, la créativité s’accommode mal avec les subventions (Camarero, Garrido et Vicente, 2011). Si être créatif c’est prendre des risques, les dépenses se doivent d’être maitrisées. De même qu’à l’opposé certains gestionnaires se confortent dans des apports financiers réguliers qui ménagent leur appréhension du risque économique, et donc de l’innovation artistique  (Grampp, 1989).

L’instrumentalisation de la politique culturelle

Depuis les années 1980-90, le New Public Management a fortement impacté l’univers de la gestion publique (Emery et Giauque, 2005). Dans le public : « gérer l’État comme une entreprise est désormais le mot d’ordre de la nouvelle gestion publique et ce partout dans le monde » (Cohen, 2012, p5). En France, l’implantation de la LOLF a institutionnalisé les démarches du contrôle de gestion dans le secteur public. L’article 51 de la LOLF dispose que la présentation des actions de l’État devra être faite au regard « des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié ».[2] Néanmoins, derrière cette « culture de l’évaluation », il faut comprendre l’optique de rationalisation plus que l’efficacité de l’action publique et la reconnaissance du travail (Bureau, 2010). Le problème résulte dans l’incapacité des démarches de quantification à rendre compte de l’activité réelle des services (Boussard et Loriol, 2008).

Pour une meilleure intégration de la problématique culturelle dans les politiques publiques, il faut pouvoir montrer que le secteur des arts et de la culture peut contribuer au bien-être et à la prospérité des territoires selon 3 modalités : meilleur usage possible des aides et subventions attribuées, la mise en valeur des ressources du territoire, la contribution au développement de produits et de services répondant à une demande des publics (Tobelem, 2013). Dans le processus d’attribution des subventions, les élus veulent être convaincus pour à leur tour persuader les citoyens qu’investir dans la culture bénéficie au territoire, d’autant plus dans un contexte de chômage sur fonds de crise économique et de rationalisation des finances publiques.

Mais l’évaluation des organisations culturelles est hautement subjective car elle relève de variables imprécises dues à la multiplicité de leurs missions et à l’intangibilité de leur production issues de la coexistence de l’art et du management (Zolberg, 1983). L’argument économique devient le plus audible, car accessible, pour les investisseurs et les autorités publiques. On décide d’arrêter de soutenir un festival moins en raison de sa faible influence culturelle que de son déficit financier.

La réduction des financements dans la culture

La démocratisation de la culture en France a-t-elle eu les effets escomptés ? Bien que stable, la fréquentation n’est le fait que d’une partie de la population quand la majorité reste complètement à l’écart des établissements culturels (Donnat, 2013). La moitié des Français (51 %) n’ont assisté en 2008 à aucun spectacle vivant dans un établissement culturel au cours des douze derniers mois. Les proportions de Français n’ayant pas visité de lieux d’exposition ou de patrimoine au cours des douze derniers mois sont respectivement de 58 % et de 62 % (Pratiques culturelles 2008, DEPS, ministère de la Culture et de la Communication, 2009). Le soutien des pouvoirs publics concerne surtout la culture (institutions et associations) plutôt que l’économie culturelle (entrepreneuriat, innovation). Avec le numérique se développent de nouvelles formes de production artistique et de réception culturelle (implication et individualisation des publics) qui rendent obsolète une partie des activités de ces institutions (Haselbach et al., 2012).

Doit-on craindre et anticiper la fin d’un modèle de financement de la culture alimenté par la subvention ? Les élus des collectivités territoriales portent un regard de plus en plus prononcé sur les modèles économiques des structures qu’ils aident. L’enquête sur les financements publics menée par le SYNDEAC (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) témoigne de l’impact sur les moyens de la politique culturelle française de la baisse des dotations aux collectivités territoriales et confirme la crainte de la généralisation du repli des budgets culturels.

Évolution des subventions culturelles par localisation des structures bénéficiaires (2015-2016)

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Les associations et entreprises de la culture à la recherche de financements doivent pouvoir argumenter sur des dossiers structurés autour des qualités du projet artistique et de la viabilité économique de l’organisation, tout en répondant aux objectifs multiples d’une politique culturelle qui peuvent sensiblement variés d’une collectivité territoriale à une autre sous le coup des financements croisés des différents échelons territoriaux. Le manque d’organisation, les choix arbitraires et la dilution des responsabilités qu’occasionne la superposition de strates de compétences (ministères, DRAC, régions, départements, communautés de communes, agglomérations, villes) en seraient les principaux responsables (Bommelaer, 2012).

[1] Décret n°59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du Ministère chargé des Affaires Culturelles, JORF du 26 juillet 1959 p7413

[2] Article 51 de la Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances, voir sur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000394028&dateTexte=&categorieLien=id

 

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